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samedi 8 avril 2017

Bout de papier

                                 
Assis ce soir dans un Café du centre-ville par un soir de pleine lune polaire, je savoure la chaleur que me procure mon très allongé, tout comme les dix personnes éparses. Dans un Café de cinquante places assises, ce n’est pas l’espace qui manque ce soir donc, comme le veut la convention non-écrite des habitués de l’endroit, chacun choisit une table ou un bout de comptoir de façon à se trouver à une distance raisonnable des autres clients, à ne pas trop empiéter dans leur espace. Pour ma part, je choisis une table tout près de l’entrée des toilettes. Non pas que je prise l’endroit en particulier, mais y ai une vue d’ensemble qui alimentera, du moins je l’espère, ma palette de sujets et de personnages, question de donner un nouvel élan, une nouvelle dose d’inspiration à l’histoire que je suis en train d’écrire.

La jolie barista aux longs cheveux roux lisses et aux yeux verts perçants qui oeuvre ce soir derrière le comptoir se prénomme Julie, du moins si je me fie aux bribes de conversation qu’elle entretient avec un certain Albert, un habitué de la place attablé au comptoir. Julie nous offre ce soir une playlist musicale à tendance acoustique, propice à solliciter et entretenir un brin de jasette avec ses clients.

Quelques traits du monsieur à la longue barbe blanche noircissant la grille de mots croisés de son journal. Quelques autres d’un individu, chauve celui-ci, parlant vite et fort à son voisin distancé de deux tables, qui semble ne lui porter aucune attention. Ou encore les traits de deux étudiantes assises l’une en face de l’autre à la même table, chacune les yeux rivés à leur iPhone, ne s’étant pas adressé un traître mot depuis qu’elles sont arrivées. De porter attention à ces individus, à leurs particularités me donne habituellement assez de matière pour étoffer mes personnages, ou encore ajouter des compléments d’intrigue à l’élaboration de mon histoire.

C’est en levant les yeux de mon cahier de notes que je remarque la présence à la table d’à côté d’une grande femme aux cheveux noirs ondulés, orné d’un béret de couleur ocre s’agençant parfaitement à son long foulard teinté de touches de bourgogne, enroulé autour de son cou. Son long manteau noir et son immense sac de toile porté en bandoulière lui confère un look particulier, à la limite intriguant. Au premier coup d’œil, j’aurais tendance à croire qu’elle affiche les traits d’une amérindienne, mais je repose rapidement mes yeux sur mon cahier lorsque elle semble vouloir entamer une conversation. Je suis troublé par sa présence à côté de moi. Suis troublé par l’aura de mystère qu’elle dégage, qu’elle inspire. Pourquoi s’asseoir tout juste à côté de moi, elle qui avait l’embarras du choix quant aux tables disponibles. Pourquoi ce soir en particulier, moi qui ne l’ai jamais vue ici, étant un fidèle client, un habitué de la place. Hasard ? Coïncidence ? Allez savoir.

Après plusieurs minutes au cours desquelles je noircis mon cahier de notes de tout ce qui me passe par la tête, je la vois se lever, prendre son immense sac en tissus orné de motifs me permettant de conclure qu’elle est amérindienne, et se diriger vers les toilettes, tout en passant très lentement tout juste à côté de moi de façon à attirer mon attention. Je ne fais que lever les yeux de mon cahier pour me sentir hypnotisé dès que je croise son regard. Reprenant quelque-peut mes esprits, reprenant un peu de contenance, je remarque qu’elle a laissé un bout de papier sur sa table, sous sa tasse de café au trois quart pleine. Curieux, je m’étire le cou et tente d’y lire ce qu’elle y a inscrit. Merde, c’est écrit trop petit, ou je suis trop loin, c’est selon.

Qu’est-ce que je fais. Est-ce que je me lève pour le lire, assouvissant du même coup ma curiosité, ou si je demeure sagement assis à ma table, ouvrant ainsi toute grande la porte à mon imagination qui va s’en donner à cœur joie, ébauchant un paquet de scénarios tous plus invraisemblables les uns que les autres. Habituellement, lorsque une femme va à la toilette, elle en a pour au moins quelques minutes donc, qu’est-ce que je risque, que je me dis. Ça me permet par le fait même de faire une pierre deux coups en satisfaisant ma curiosité, tout en interrompant le flot de scénarios qui inonde mon esprit. J’en conclus que le jeu en vaut la chandelle donc, je me lève et prend le bout de papier sous la tasse de café :

« En lisant ces mots, tu es à moi pour toujours » !

Merde ! C’est quoi ça ? C’est qui elle ? Pourquoi me faire ça. C’est clair que je n’en dormirai pas de la nuit. Est-ce que je suis pris au piège, est-ce qu’elle m’a ensorcelé, est-ce que je suis à elle pour toujours comme elle le prétend ? Elle ne sait absolument rien de moi et, à partir de maintenant, nous serions liés pour toujours ? C’est quoi ces niaiseries-là. Et si je quittais le café le café sur le champ, en catimini, avant qu’elle ne revienne, elle n’aurait aucune idée si j’ai lu ou non son bout de papier. De toute façon, je suis certain que personne ne m’ait remarqué, tous affairés à leur journal, leur portable ou leur cellulaire qu’ils sont. De nos jours, de plus en plus rare sont les individus qui se parlent de vive voix. Le contact humain se perd.

Et si je quittais le Café sur le champ avant qu’elle ne revienne. Qui me dit qu’elle n’est pas une sorte de chamane, une sorte de sorcière. Je suis certain qu’elle aurait tôt fait de me retracer grâce à ses pouvoirs. Qui sait ce qui m’attendrait à ce moment-là. Je m’assois sur ma chaise, étourdi. Dans un éclair de lucidité, je m’aperçois que j’ai toujours le bout de papier dans ma main. Vite, le remettre sous la tasse… Trop tard.

Apparue comme par magie devant moi, je bafouille qu’elle avait oublié un bout de papier sur la table. Le lui remettant tout en m’excusant de l’avoir lu, elle le chiffonne et le range dans son immense sac de toile, puis pose sa main sur mon épaule avant de me dire : « J’espère que je t’ai inspiré une bonne histoire. Bonne soirée » ! qu’elle me dit avant de quitter.

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