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dimanche 26 novembre 2017

Les vieilles lames


Attablé dans un café du centre-ville, je m’étais permis de tendre l’oreille à la conversation qu’entretenaient mes deux voisins de table aux tempes tout aussi grisonnantes que les miennes. J’y avais porté une attention particulière, surtout lorsque ceux-ci avaient évoqué les détails de leur dernier match au sein de leur ligue de garage, me permettant ainsi de me replonger dans mes propres souvenirs, du temps où moi-même y évoluais, contraint à une retraite forcée, blessure récurrente au dos oblige.


Je m’étais particulièrement souvenu de mon dernier match en carrière, alors que tous les joueurs de notre équipe Midget de l’époque s’étions réunis à l’aréna afin de disputer un match-retrouvailles, question de souligner le vingt-cinquième anniversaire de notre véritable « saison de rêve », rien de moins. Qualificatif que nous utilisions à profusion et en toute légitimité de par notre saison de seulement deux défaites, de par les trois tournois que nous avions remporté et surtout, de par notre conquête du Championnat Provincial.

De voir entrer un par un mes anciens coéquipiers dans le vestiaire, portant chacun leurs manteaux à l’effigie de l’équipe, pour la plupart défraîchis et trop petits, déposant leurs bâtons sur le mur tout près de la porte d’entrée, pour ensuite prendre place au côté des mêmes coéquipiers qu'à l'époque, tout en contournant le fameux tapis sur lequel était imprimé le logo de l’équipe placé par terre au centre du vestiaire, symbole sacré et porte-bonheur sur lequel il était strictement interdit d’y poser pied, avait fait naître en moi une fébrilité que je n’avais pas ressentie depuis longtemps. Les accolades et poignées de mains furent nombreuses, les blagues et les éclats de rire fusaient de toute part, tout comme les conversations qui s’entrecoupaient aux quatre coins du vestiaire. Je me suis même souvenu avoir éprouvé beaucoup d’émotion en observant notre bande de quadragénaires se retrouver, échanger, fraterniser, un peu comme si les vingt-cinq dernières années venaient de s’effacer d’un coup, un peu comme si nous nous étions vus la veille, comme si nous ne nous étions jamais quittés.

Me souvenir de voir la plupart d’entre nous enfiler non sans difficulté nos vieux équipements, d’entendre Mike me demander du tape à pads, d’entendre chialer Bob qui avait oublié sa combine comme à l’époque, de voir notre gardien de but Mario enfiler son équipement en débutant encore et toujours par le côté gauche, de voir la bette à Stéphane se faire à nouveau piéger dans une des nombreuses histoires abracadabrantes d’André, de voir le grand Marc encore se frotter les cuisses à l’Antiphlogistine. Me souvenir avec émotion que chacun avait gardé leurs deux chandails de match, tous trop petits, trop serrés, démontrant ainsi l’importance qu’avait eue dans nos vies cette équipe, ce groupe d’individus, cette famille.

Le fait saillant de ces retrouvailles fût certainement l’arrivée de notre entraîneur Réjean, que nous surnommions affectueusement Redge, quelques minutes avant d’embarquer sur la glace. D’ailleurs Claude, notre capitaine, l’avait chaleureusement remercié d’avoir été l’instigateur de ces retrouvailles. Nous nous étions ensuite tous levés d’un bond afin de l’applaudir et lui serrer la pince. Visiblement touché, quelques larmes avaient réussies à déjouer sa vigilance, prétextant avec une pointe d’orgueil dans la voix une poussière dans l’œil. Il avait réclamé notre attention, avant de sortir de son sac ses vieux patins à tuyaux, ses « vieilles lames » dont nous nous étions tant moquées, afin de les faire tirer en prenant au hasard un bâton au mur. Eh oui, c’était bien mon bâton que Redge avait dans les mains. Il avait par la suite pris congé de nous, après nous avoir mentionné qu’à son âge vénérable, il se fatiguait rapidement et devait aller se reposer.

Évidemment, le match fût difficile et pénible pour la majorité d’entre nous. Changements de trios aux trente secondes, aucune cohésion ni fluidité dans notre jeu, plusieurs gourdes d’eau rapidement vidées, et énormément de sacres. Malgré tout, beaucoup de plaisir. S’en était suivi un souper très arrosé dans un resto du centre-ville, et la promesse de ne pas attendre un autre vingt-cinq ans avant de se réunir à nouveau.

Deux semaines plus tard, j’étais tombé en bas de ma chaise en lisant dans les pages sportives du journal local un article soulignant le décès de Redge, emporté par une fulgurante maladie. Article qui aussi relatait ses nombreuses années dans le coaching, dont son plus grand fait d’armes fût l’année de notre Championnat Provincial Midget, notre « saison de rêve ». Je ne m’étais jamais imaginé que nous nous reverrions aussi rapidement, et surtout dans un contexte aussi dramatique, appréhendant au plus haut point notre rencontre au salon funéraire. Une fois sur place, nous avions tous pris conscience que, maintenant notre entraîneur parti, plus rien ne serait pareil.

Plusieurs de mes coéquipiers avaient fondus en larmes lorsque j’avais sorti de mon sac ses vieux patins à tuyaux, ses « vieilles lames », que j’avais par la suite déposés tout près de lui dans son cercueil, les lacets placés sur ses mains, en souvenir de nous, de notre équipe. Nous nous étions ensuite réunis en demi-cercle autour de la dépouille de notre entraîneur, et lui avions fait le serment que seule la mort viendrait à bout de notre équipe. 

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