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mercredi 4 octobre 2017

Béatrice


Assis dans un café du centre-ville, je suis apostrophé par un individu, que je prends deux secondes et quart à reconnaître. Voilà, je le replace. Un dénommé Didier, ami d’enfance pas toujours très futé, qui demeurait à l’époque à quelques maisons de chez-moi, dont j’avais perdu la trace l’été de notre passage au niveau secondaire. École publique pour moi, déménagement et collège privé pour lui… et sa sœur, Béatrice.

C’est au cours de l’été précédant notre sixième année du primaire que j’en avais fait mon ami «bouche-trou», le qualifiant à micro fermé de «mal nécessaire», question de profiter de l’opportunité qu’il m’offrait de me rapprocher de sa sœur, dont j’étais littéralement tombé amoureux lors du party d’anniversaire de notre amie Manon. D’aucuns diront qu’à cet âge, j’étais trop jeune pour vivre un vrai coup de foudre, pour connaître le véritable amour, moi qui n’était qu’aux portes de l’adolescence. Qu’importe.

Je rêvais souvent que nous marchions main dans la main à la sortie de l’école, que je caressais ses doux cheveux noirs ondulés, assis tous les deux sur une balançoire du parc au fond de la cour d’école, que je l’embrassait… sur la bouche. J’ai même déjà soudoyé quelques amis à coups de cartes de hockey alors l’on jouaient à la «bouteille», afin qu’ils me laissent leur place s’ils étaient matchés avec elle. Pas de doute. Malgré mon jeune âge, j’étais vraiment amoureux. C’est finalement au bout de quelques semaines, après lui avoir payé plusieurs liqueurs au dépanneur, après l’avoir toujours sélectionnée en premier dans mes équipes de ballon-chasseur, après avoir toujours fait semblant de ne pas la voir se faufiler devant moi dans le rang à la fin de la récré, et surtout après avoir enduré son frère, feignant être son meilleur ami, que j’avais fait la grande demande à Béatrice.

C’était à la sortie des classes, un vendredi d’octobre, toujours dans le parc au fond de la cour d’école. Une fois sur place, j’avais alors demandé à Didier, qui nous collait aux fesses tel un chien de poche, de retourner à l’école chercher mon sac, volontairement oublié au vestiaire. Enfin seul avec Béatrice. Elle s’était assise en califourchon sur une balançoire, ce que j’avais tout de suite perçu comme un signe d’ouverture de sa part, comme une invitation à y prendre place. J’avais à mon tour maladroitement enfourché la même balançoire, ne pouvant ainsi être plus près d’elle. Bon, qu’est-ce que je fais maintenant? C’est quoi la suite, que je m’étais dit. Un hippopotame, deux hippopotames, trois hippopotames…

J’avais mis fin au malaise, prétextant une brindille d’herbe dans ses cheveux, approchant du même coup mon visage tout près du sien. J’avais les mains moites, mon cœur tambourinait dans ma poitrine, et une folle envie de déposer un baiser sur ses lèvres me tenaillait, maintenant que les miennes étaient si près des siennes. Comment savoir si ça lui tentait, elle aussi? J’en ris aujourd’hui mais à l’époque, j’étais terrorisé. C’était tout de même quelque chose pour le jeune garçon d’à peine une dizaine d’années que j’étais. Finalement, j’avais interprété le fait qu’elle se soit fermée les yeux comme le feu vert qui me donnait ainsi la permission de déposer mes lèvres contre les siennes, comme une forme de consentement à devenir son chum, comme si elle m’offrait un accès privilégié à son cœur. Et j’ai plongé, fermant les yeux à mon tour.

Suite à ce premier baiser, nous étions presque toujours ensemble, faisions nos devoirs chez elle, ou chez moi lorsque nous voulions prendre congé de son frère, lui qui a difficilement vécu le fait que je n’en n’avais maintenant que pour sa sœur. Nous passions nos samedis après-midi au centre d’achats à dévaliser des yeux les boutiques, tout comme nos samedis soirs à l’aréna aux séances de patinage libre. Patinant main dans la main, prenant une pause à l’occasion afin de partager un chips et une liqueur, scotchés ensemble dans les estrades, nous faisions fi des moqueries de nos amis. D’ailleurs, ceux-ci nous avaient affectueusement surnommés Roméo et Juliette. Notre amour grandissait, s’épanouissait et ce, envers et contre tous. Au bout de quelques mois, les parents de Béatrice, en particulier sa mère, ne voyaient plus d’un très bon œil notre histoire d’amour qui perdurait, prétextant que nous étions trop jeunes pour vivre «collés l’un à l’autre depuis aussi longtemps». Nous nous sommes donc «fréquentés» jusqu’à son déménagement à la fin des classes, en juin.

C’est le cœur en miettes que je l’avais vue, assise sur la banquette arrière de l’auto familiale, ses yeux incapables de contenir ses larmes, souffler un baiser en ma direction, de l’autre côté de la rue. Baiser qui m’avait littéralement scié les jambes, soutenu que j’étais par mon vélo à «poignées mustang et siège-banane». Après avoir repris un peu de contenance, je m’étais assuré que son doux visage, que son sourire, que ses yeux noisette, que ses cheveux noirs en cascades qui aimaient danser sur ses épaules lorsqu'elle riait aux éclats à une de mes blagues, soient partie intégrante de l’image qui, j'en étais convaincu, demeurerait gravée dans ma mémoire pour le reste de mes jours.

Lorsque Didier a pris congé de moi afin d’aller rejoindre quelques amis attablés plus loin dans le café, me mentionnant au passage que Béatrice serait assurément heureuse de me revoir, je me suis mis à jongler avec l’idée. J’ai senti naître une douce nostalgie, et remonter à la surface cette image claire de son visage, assise sur la banquette arrière de l’auto familiale, me soufflant un baiser d’adieu. M’est alors venu en tête le vieil adage qui dit qu’on n’oublie pas son premier amour. J’ai souri, seul à ma table, devant une tasse de café froid, tout en opinant du bonnet.

J’ai finalement décidé de ne pas la revoir, question de préserver ce souvenir de jeunesse qui, encore aujourd’hui, est demeuré intact dans ma mémoire.

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