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mardi 8 août 2017

Pile ou face



Pile ou face. Pile j’accepte, face je refuse. Je flippe une pièce de monnaie, qui tombe sur le côté pile. Merde!

Mon pote me regarde, tout sourire. Je me vois donc dans l’obligation, tel que convenu, d’honorer mon pari, soit de relever le défi de participer à Microscène, qui se veut être un concours pour musiciens amateurs ayant lieu chaque jeudi soir au Micro-ouvert, petit café-bar en plein centre-ville que l’on aime fréquenter à l’occasion. Il me tend aussitôt un formulaire d’inscription, insistant pour qu’il soit rempli sous ses yeux, pour ensuite le remettre à l’aubergiste de faction. Je suis donc booké pour jeudi prochain. Re-merde!

Pas que je n’ai pas confiance en mes moyens, sachant que je chante plutôt juste et me débrouille assez bien à la guitare, mais aussitôt que je pose le pied sur une scène, si petite soit-elle, j’ai l’impression qu’une métamorphose s’opère à l’intérieur de moi, de telle sorte que je perds littéralement le contrôle. Situation plutôt angoissante, du fait que je ne sais jamais à quel moment ça va se produire. J’ai beau tenter de me raisonner, d’éviter de regarder le public en fixant le mur au fond de la salle, d’imaginer l’auditoire nu, d’avoir les facultés affaiblies par l’alcool, rien n’y fait. Je perds littéralement mes moyens, ma concentration, victime de trous de mémoire imprévisibles me faisant parfois oublier les paroles ou encore les accords de chansons que j’ai moi-même écrites bref, l’horreur.

Pas moyen de me défiler, même en invoquant ma hantise de la scène. Un pari est un pari, et, tel que convenu, je me dois de l’honorer. Selon lui, deux chansons, ce n’est pas la mer à boire. D’ailleurs, il poursuit sur sa lancée en estimant que mon problème n’est en fait qu’une mauvaise gestion du trac et donc, ce concours est pour moi l’occasion rêvée d’y faire face une bonne fois pour toutes, d’ériger le fameux « quatrième mur » entre moi et le public, m’offrant du même coup une certaine distance face à lui.

Nous voilà maintenant arrivé au « Jour J ». J pour jeudi, soir de ma prestation sur scène, devant public, dans un Micro-ouvert que j’imagine plein à craquer. Mon sommeil a profité des deux dernières nuits pour se faire la malle, pour prendre la poudre d’escampette, occupé que j’étais à me faire du mauvais sang, à avoir peur d’oublier mes textes, peur de me tromper d’accords. J’ai eu beau tenter de relaxer, de penser à autre chose, de me persuader que ce n’est qu’un concours amateur, mais mon manque de sommeil, combiné à mon appétit qui lui aussi s’est fait la malle aujourd’hui, me rattrape.

Mon pote passe donc me prendre en passant. Bien qu’il doit effectuer un détour, il affirme que je demeure « sur son chemin », question de s’assurer que je ne me défile pas à la dernière minute. La mine déconfite que j’affiche en lui ouvrant la porte ne l’étonne pas, convaincu que j’en mets plus que le client en demande.

Nous prenons ensuite le chemin du centre-ville, guitare à la main, dans un silence qui n’est brisé que par le bruit de nos bottes sur le trottoir. Une fois sur place, remarquant mon visage en sueurs et ma dégaine chancelante, mon pote constate que je ne vais vraiment pas bien. Il insiste fortement pour que je déclare forfait afin qu’il puisse prendre ma place. D’honorer notre pari est une chose, de me rendre malade de stress en est une autre. Il prend donc l’initiative d’aller à la rencontre de l’aubergiste pour lui mentionner qu’il va prendre ma place sur scène ce soir, prétextant que je suis victime d’une extinction de voix. Je le remercie en lui adressant le pouce en l’air, pour ensuite aller m’assoir au fond du café-bar assister aux prestations des autres concurrents.

De voir mon pote sur scène interpréter mes deux chansons avec une telle assurance, une telle aisance, m’amène à prendre une décision. À partir d’aujourd’hui, c’est fini la « peur d’avoir peur ». Ce que je veux, et surtout ce que je ne veux plus, m’est apparu clair comme de l’eau de roche, comme une évidence et ce en l’espace de deux chansons, me libérant ainsi d’un poids, d’un fardeau qui minait mon existence. C’est simple, je n’aime pas être à l’avant, être sous les projecteurs donc, je vais laisser la place aux autres en leur proposant mon matériel. Pourquoi pas même m’investir dans la littérature en écrivant des histoires, des romans.

J’ai soudainement une succession d’images, de mots qui émergent dans mon esprit. Immédiatement je sors mon iPhone et note en vrac les quelques phrases sans aucune censure, sans tenir compte des fautes d’orthographe, n’exprimant que l’émotion ressentie. Durant le processus, je me sens envahi par un sentiment d’ivresse, d’euphorie difficile à décrire, un peu comme si une connexion s’était établie avec quelque chose d’intangible, un peu comme si j’avais enfin ouvert la bonne porte. Après être revenu sur le plancher des vaches, je relis ce que j’ai noté. Curieusement, ça se tient pas mal.

M’ayant rejoint au fond du café-bar suite à sa prestation, mon pote remarque immédiatement une lueur, un « quelque chose » de différent dans mon regard, sans toutefois réussir à mettre le doigt dessus. Je souris en lui tendant mon iPhone.

Y’é temps de faire ce que j’aime, à l’aube de la cinquantaine
Voir où ma passion me mène, elle qui coule dans mes veines
Y'é temps de faire ce que j'aime, à l'aube de la cinquantaine
Voir la coupe à moitié pleine, l'effort en vaut la peine

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