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lundi 24 juillet 2017

Le vieux monsieur


Y'a de ces journées comme-ça qui n'annoncent rien de particulier, qui ne sont ni plus ni moins qu'un copier-coller d'un paquet d'autres journées, du moins jusqu'à ce qu'une rencontre vienne tout chambouler, comme celle que j'ai eue avec un vieux monsieur, venu s'assoir à la table voisine dans un Café du centre-ville.

Vieux, si je me fie à son apparence physique, du fait qu'il affiche un visage tout ridé, qu'il porte une longue barbe et des cheveux blancs hirsutes, qu'il soit chaussé d'espadrilles de marche usées, mais de qualité par contre. À côté de lui un sac à dos d’expédition contenant selon moi vêtements, nourriture et sac de couchage. Je continue à l'observer du coin de l'œil car il dégage quelque chose d'intriguant, de mystérieux, et je ne parle pas ici de son odeur corporelle, lui qui semble à première vue relativement propre de sa personne. Mais plutôt l’impression d’une aura de sagesse, d’une vibe qu'on ne croise pas tous les jours. S’en étant probablement aperçu, il entame la conversation en me demandant de lui indiquer dans quel coin se trouve le terminus d’autobus.

Saisissant la balle au bond, j'en profite pour tenter de cerner un peu le « personnage » en le relançant sur des généralités telles que: d'où vient-il, que fait-il dans la vie, où veut-il se rendre. En substance, il mentionne qu'il veut retourner dans la ville qui l'a vu naître, prétendant être un "nomade" et ce, depuis plusieurs années, ne portant dans son sac à dos que l'essentiel à sa survie. Pas de famille, pas de maison, pas d'emploi, se contentant de petits boulots ici et là dans les pays qu'il visite, question d'amasser assez de sous pour poursuivre son aventure. Je constate, au fil de notre échange, qu'il est somme toute d'un commerce fort agréable et, tel que je l'imaginais, qu’il a beaucoup de vécu, beaucoup de « millage » derrière la cravate, comme on dit.

J'oriente ensuite l'échange sur le chapeau qu'il porte, que je trouve vraiment très beau, bien que pas mal usé. Il m'indique qu'il lui a été remis par un vieil ermite, qu'il qualifie de vieux sage vivant dans une grotte, croisé lors de son périple dans les Himalayas. Périple au cours duquel, qu'il me raconte de façon colorée et imagée, il prétend avoir frôlé la mort à quelques reprises. Il est d'ailleurs convaincu que sans ce chapeau, qu’il estime être un véritable porte-bonheur, lui ayant sauvé la vie plus d'une fois par la suite lors de ses nombreux autres périples un peu partout autour du globe tels que les Himalayas, la Grande muraille de Chine, le chemin de Compostelle et la Cordillère des Andes, entre autres, il ne serait pas ici pour me raconter tout ça.

Il enlève son chapeau et le pose sur ma tête. Je suis surpris par son geste, par cette délicate attention, et sincèrement touché qu'il m'offre de porter quelques instants ce qu'il semble avoir de plus précieux dans la vie, un peu comme un album souvenir qu'il porte constamment sur sa tête. J'ai de la difficulté à exprimer avec des mots ce que je ressens à son contact, comme si j'étais investi d'une espèce d'énergie intangible, semblable à l'effet que l'on ressent à l'écoute d'une musique apaisante. Mon interlocuteur sourit, me mentionnant avoir raté l'arrivée d'un texto sur mon cellulaire depuis plusieurs minutes déjà. Je m'excuse en le prenant sur la table afin d’y lire le dit texto, gracieuseté de mon patron, m'indiquant à gros traits que je suis en retard à une réunion. Avant de prendre congé, je lui remets son chapeau, accompagné d'une vigoureuse et franche poignée de main, tout en lui demandant la permission de raconter son parcours sur mon blogue, ne pouvant passer sous silence une telle rencontre, une telle aventure.

Je quitte donc le café à regret, et les quelques minutes de marche qui me séparent de ma voiture me permettent de repasser en boucle cette rencontre dans ma tête. C'est une fois arrivé à sa hauteur, avec une contravention pour temps de stationnement expiré dans mon pare-brise en prime, que je prends conscience du véritable impact qu'a eu sur moi le fait de porter le chapeau de ce vieux monsieur, que je trouve enfin les mots. Je retire le billet d’infraction déposé sous l’essuie-glace et je souris.

C'est fou de s’apercevoir combien nous sommes dépendants de toute cette nouvelle technologie, de tous ces nouveaux moyens de communication qui nous relient, tel un cordon ombilical, à un réseau, un nuage, un monde virtuel. Se rendre compte qu'il y a toujours dans ce bas monde des individus qui, tout comme lui, vivent vraiment dans l'instant présent. Des individus qui prennent le temps de savourer, de croquer à pleines dents dans tout ce que la vie leur propose. Pas besoin de téléphone intelligent, pas besoin d'ordinateur ou de tablette pour communiquer. Seulement la parole, l’écoute, le contact humain, demeurant contre vents et marées imperméables à tout ce que leur propose les algorithmes de la Silicon Valley.

Je décide de faire volte-face, de ne pas me rendre à ma réunion, à laquelle je suis en retard de toute façon, mais plutôt de retourner au Café afin de poursuivre mon entretien avec ce mystérieux individu. Arrivé sur place, il a déjà quitté. Tout ce que je sais de ses intentions, c'est qu'il envisage se rendre à Québec en autobus donc, direction terminus. Je retourne de nouveau à ma voiture afin de m’y rendre rapidement. Une fois à l’intérieur, rien, aucune trace du vieux monsieur. Je reprends place dans ma voiture, et parcours le quadrilatère environnant à sa recherche. Aucune trace. Disparu, volatilisé.

Y'a de ces journées comme-ça qui n'annoncent rien de particulier, qui ne sont ni plus ni moins qu'un copier-coller d'un paquet d'autres journées, du moins jusqu'à ce qu'une rencontre vienne tout chambouler. De l'évoquer, encore aujourd'hui, me procure toujours un frisson.

Le pire dans tout ça, c’est que je ne lui ai même pas demandé son nom…

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