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samedi 22 septembre 2018

La bague


Assis dans un café du centre-ville, mon attention fût détournée du journal que je lisais par l’arrivée de deux jeunes hommes prenant place à la table voisine. Un coup d’œil furtif en leur direction m’a permis de prétendre me trouver en présence de deux athlètes, à en juger par leur physique imposant, à tout le moins plus que la moyenne des ours. 

De retour à mon journal, la teneur de leur propos à laquelle je tendis une oreille indiscrète me confirmait avoir affaire à deux hockeyeurs. À première vue, d’avancer sans trop me tromper un début vingtaine dans les deux cas était à propos. J’ai souri à quelques reprises à l’écoute d’anecdotes de vestiaires, d’autobus et d’hôtels, dénotant du coup certaines similitudes avec celles vécues dans ma propre jeunesse. Tout comme d’autres, plus croustillantes concernant les entraîneurs, certains coéquipiers et adversaires bref, rien de bien nouveau sur la planète hockey. 

Cette constatation m’a permis de conclure que les époques se suivaient tout en se ressemblant étrangement. Je concédais plusieurs avancées techniques dans les domaines de l’équipement, des méthodes d’entraînement et de l’encadrement des joueurs, avancées bénéfiques pour l’essor de ce sport. Alors que faire partie d’une équipe, vivre comme une famille, savourer ensemble l’ivresse de la victoire, s’épauler dans les affres de la défaite, demeurait des valeurs immuables avec pour effet de souder un groupe d’individus partageant le même objectif, le même but. 

Sentant de leur part quelques regards insistants en ma direction, j’ai alors sorti de mon sac ma « bébelle », ou plutôt mon iPad muni de mon ineffable clavier Bluetooth, pour mieux faire diversion. Tapant les touches de façon aléatoire, question de donner l’impression de ne plus leur porter attention, je poursuivais tout de même mon intrusion subtile dans leur conversation en glanant ici et là quelques anecdotes. 

Soudainement, celui assis de biais à moi m’a demandé si j’avais terminé de lire mon journal. Je lui ai répondu par l’affirmative. Il s’est alors étiré le bras pour en prendre possession, et c’est à cet instant que je l’ai aperçue. 

Son annulaire gauche portait une énorme bague avec au centre ce que je supposais l’effigie de son équipe de hockey, entouré de plusieurs pierres précieuses, le tout orné de quelques inscriptions. À voir la dimension de la « garnotte », c’était facile de présumer la conquête d’un important championnat. 

Revenu à mon iPad, je me suis imaginé son parcours, soit celui du combattant. Imaginé le support indéfectible de ses parents, les sommes d’argent investies, tout le kilométrage à sillonner les routes afin de lui permettre de pratiquer son sport, d’assouvir sa passion. Imaginé la discipline de fer et tous les sacrifices auxquels il s’est astreint depuis son plus jeune âge. Imaginé l’adolescent déraciné de son milieu, de son environnement, qui doit habiter en pension chez des inconnus dans une autre ville, loin de sa famille, de ses amis. Imaginé les innombrables heures d’entrainements, les voyages en autobus, les blessures, les possibilités d’échanges et la constante pression de performer et ce peu importe les conditions. 

Après quoi, je me suis imaginé tous les moments de joie, de satisfaction, de fierté qu’il avait pu vivre au cours de sa carrière. Le fait d’être choisi, repêché par une équipe s’avérait notable. Suivait l’ambition d’en percer l’alignement, puis d’y développer son potentiel pour espérer attirer suffisamment l’attention et d’avoir ainsi l’opportunité de graduer au niveau supérieur. Imaginé les nouvelles amitiés, dont certaines tissées pour la vie. Imaginé les défaites crève-cœur, les victoires cruciales et en bout de ligne, la conquête d’un titre. 

En y pensant bien, une bague de championnat symbolise ni plus ni moins l’aboutissement de tous les sacrifices, de toutes les réussites, de toutes les épreuves qu’un individu a dû traverser et ce peu importe la catégorie, peu importe le sport. Il sera d’ailleurs affublé de l’étiquette de « champion », et ce tout au long de sa vie. Étiquette que personne ne peut nier, ne peut lui retirer. 

Le frottement de leurs chaises sur le plancher m’indiquait que mes voisins de table étaient sur le point de prendre congé des lieux, me sortant ainsi de ma réflexion. Je me suis alors risqué à demander au détenteur du précieux objet si je pouvais y jeter un coup d’œil de plus près, ce qu’il a accepté. Je l’ai attentivement observée, pour ensuite le féliciter et le remercier. 

Honnêtement, ce n’est pas la bague qui m’a frappé le plus. Mais plutôt l’immense fierté qui émanait de son regard.

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